Une religion qui ne me coûte rien

Il y a dans l’Évangile une déclaration du Christ qui précise exactement quels doivent être le devoir et l’attitude de l’homme qui se veut être son disciple :

« Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive. » (Luc 9.23)

Pour trop de gens, la religion est devenue une routine, une habitude, une tradition qu’on observe plus pour faire comme tout le monde que par piété réelle.

C’est la religion morne, insipide et en fait morte de ceux qui se croient justes parce qu’ils n’ont « jamais rien fait de mal à personne », de ceux qui ne se posent ou ne posent aucune question. Ceux-là ne savent généralement pas qu’en Christ, il faut savoir se donner, il faut savoir donner et pardonner.

La vraie religion

Trop peu de gens se soucient de payer le prix qu’exige la vraie religion. Et parce qu’ils n’en paient pas le prix, ils ne sont pas en possession de la vraie religion. La vraie religion est en quelque sorte la respiration saine et abondante d’une âme qui communie pleinement avec Dieu par la prière, la méditation des Écritures et l’amour.

Michel QUOIST a écrit courageusement que « trop de croyants » réduisent la foi à une loi humaine : pour le « bien pensant », elle est un ensemble de bons principes ; pour le vertueux, un code de vie morale ; pour le pieux, l’accomplissement de rites religieux ; mais pour combien la foi est-elle cette lumière qui éclaire toute la vie et l’oriente jusqu’en ses moindres détails ?

Celui qui désire vivre pleinement son christianisme ne peut supporter de le restreindre aux limites étroites de quelques démarches religieuses, à l’application des grandes lignes d’une loi morale. Il veut que sa foi atteigne à ses dimensions adultes, en donnant un sens à son existence dans ses moindres détails, à l’existence de l’humanité et de l’univers.

Sa religion, il ambitionne de la vivre dans toute sa vie, en rencontrant le Christ partout et toujours, au centre même de cette existence concrète où il est envoyé non comme dans un guet-apens, mais pour un rendez-vous d’amour de tous les instants.

Prendre conscience de la foi par la Bible, de mon écrasante responsabilité envers Dieu, envers les autres, et aussi envers moi-même, voilà les fondements indispensables de la religion. Si nous voulons la posséder et la cultiver, il faut être prêt à en payer le prix.

Mais est-ce bien là notre intention ? Est-ce bien là notre cas ?

Aravna donna tout

Je vous invite à ce point à ouvrir votre Bible au second livre de Samuel, chapitre 24. Nous y trouvons le roi David qui s’est attiré la colère de Dieu, en proie à une grande angoisse. La peste s’est abattue sur le pays, et plusieurs milliers d’hommes sont déjà morts des effets de ce mal terrible.

Pour apaiser la colère de Dieu, un prophète ordonne à David de construire un autel et d’y sacrifier des animaux, selon les coutumes religieuses de cette époque. L’autel devait être dressé sur la propriété d’un nommé Aravna. Voyant arriver le roi et sa suite, Aravna se prosterne le visage contre terre et demande au roi ce que lui vaut l’insigne honneur de sa visite.

Le roi lui dit qu’il est venu lui acheter son terrain « pour y bâtir un autel à l’Éternel, afin que la plaie se retire de dessus le peuple » (v. 21). C’est ici qu’Aravna, en homme généreux, refuse de vendre quoi que ce soit. Il veut tout donner à son roi : « Que mon seigneur prenne mon terrain », dit-il avec un empressement heureux et fervent, « et qu’il y offre les sacrifices qu’il lui plaira » (v. 22). Il offre même ses bœufs pour le sacrifice et ses chars pour le bois de l’autel. La Bible souligne qu’Aravna donna le tout au roi, en lui disant : « Que l’Éternel, ton Dieu, te soit favorable » (v. 23).

Je n’offrirai pas ce qui ne me coûte rien

Quelle fut la réaction du Roi David ? Elle fut noble et belle. Elle devrait être pour chacun de nous une grande leçon de christianisme. Le roi dit à Aravna : « Non, je veux l’acheter de toi à prix d’argent, et je n’offrirai pas à l’Éternel, mon Dieu, des sacrifices qui ne me coûtent rien » (v. 24), et David acheta le terrain et les bœufs pour 50 sicles d’argent.

Quel changement s’opérerait au sein de la chrétienté si chaque chrétien se refusait d’offrir à Dieu un culte qui ne lui a rien coûté, aucun effort, aucun sacrifice, aucun bien… et lorsque je dis « un culte », je ne parle pas seulement de nos assemblées dominicales, mais de cette conscience de Dieu tous les jours de notre existence.

Malheureusement, Dieu nous paraît si loin, si irréel, si inaccessible, qu’on le relègue au fond d’un tiroir comme un objet, pour l’en ressortir le dimanche pendant une heure ou deux. On ne pense à lui que pour l’accuser lorsque les choses vont mal. Ce genre de religion est une caricature lamentable. Elle ne respire même plus. Elle s’est asphyxiée par l’indifférence, les soucis de cette vie et une certaine forme de matérialisme.

Jésus nous met constamment en garde contre une attitude apathique qui n’a rien à voir avec l’Évangile. Son cri de ralliement est « Veillez et priez » (Marc 13.33) à cause de la certitude du jour du jugement et de l’incertitude de la vie.

« Prenez garde à vous-mêmes », nous dit-il, « de crainte que vos cœurs ne s’appesantissent par les excès du manger et du boire, et par les soucis de la vie, et que ce jour ne vienne sur vous à l’improviste. » (Luc 21.34)

On n’obtient rien sans rien

Un vieux dicton nous apprend qu’on « n’obtient rien sans rien », ce qui veut dire qu’il faut être prêt à payer le prix de quoi que ce soit, si on désire l’obtenir et le garder.

— L’étudiant réussira ses examens et sa carrière au prix de longues heures d’études et d’insomnies… quelquefois même au prix de vacances sacrifiées en vue de cet examen décisif qu’il faut à tout prix décrocher.

— Le mariage est une union qui ne subsiste qu’au prix de nombreuses concessions faites de part et d’autre. Le ciment de cette union devra être fait de patience, de compréhension, de renoncement, de don de soi et d’amour.

— De même l’athlète s’impose toutes sortes d’abstinences et des travaux pour obtenir les résultats qu’il convoite.

Tout doit s’acquérir au prix d’efforts et souvent de douleurs… sauf la religion !

C’est du moins ce que notre attitude semble indiquer. Nous espérons que les portes du ciel s’ouvriront pour nous alors que la souffrance, les sacrifices, les dons et l’activité pour le Christ nous sont presque inconnus !

« Si quelqu’un veut venir après moi, » a dit Jésus, « qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive. »

Que coûte notre religion ?

En fait, que nous coûte notre religion ? Si elle ne coûte rien, c’est qu’elle ne vaut rien. Elle n’a de prix aux yeux de Dieu que si elle engage notre être tout entier. Elle n’a de valeur que si pour elle aussi, on est disposé à dépenser du temps, de la volonté, de l’énergie, de l’argent et même du confort. C’est là ce que l’apôtre Paul voulait dire aux chrétiens de l’Église des Philippiens lorsqu’il leur écrivait :

« Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement. » (Phil. 2.12)

Il faut que je mette tout ce que j’ai, tout ce que je suis, tout ce que je puis devenir, à la disposition de Dieu. Lui d’abord, le reste ensuite.

Il ne faut pas que Dieu prenne la place du pauvre Lazare de l’Évangile (Luc 16) assis à la porte de l’homme riche et mangeant les miettes qui tombaient de la table. Nous festoyons en effet au banquet de la vie, et c’est tout juste si nous consentons nonchalamment quelques miettes à notre créateur.

Le Seigneur m’a délivré

La foi chrétienne nous propose un idéal qui entre en conflit direct avec les tendances matérialistes, terrestres, de notre monde. C’est pourquoi en maintes circonstances, le chrétien, de par son témoignage, doit s’attendre à souffrir, du fait qu’il fera « bande à part », ne voulant pas s’associer aux plaisirs ou aux espoirs du monde. C’est ce que l’apôtre Paul déclarait à Timothée dans sa seconde lettre :

« Pour toi, tu as suivi de près mon enseignement, ma conduite, mes résolutions, ma foi, ma douceur, mon amour, ma constance, mes persécutions, mes souffrances. À quelles souffrances n’ai-je pas été exposé à Antioche, à Icone, à Lystre ? Quelles persécutions n’ai-je pas supportées ? Et le Seigneur m’a délivré de toutes. Or, tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ seront persécutés. » (2 Timothée 3.10-12)

Quels sont ceux d’entre nous qui sont disposés à souffrir injustement, par motif de conscience envers Dieu ? La seule pensée d’une souffrance injustement infligée nous pousse à la révolte. Il nous arrive de faire de gros efforts pour être agréables à quelqu’un et de voir nos services récompensés par une brimade, une insulte ou la médisance. Généralement, notre amour-propre blessé se redresse avec indignation et nous nous disons que plus jamais nous ne rendrons de service à qui que ce soit si c’est là toute la récompense qu’on en reçoit !

Le prix qu’il faut payer à ce moment-là, c’est d’abord le silence, et la patience, et le pardon et le don à Dieu de cette souffrance, si minime soit-elle.

C’est avec une logique désarçonnante que l’apôtre Pierre va à l’encontre de ces réactions désordonnées de notre nature humaine.

« C’est une grâce », dit-il, « que de supporter des afflictions par motif de conscience envers Dieu, quand on souffre injustement. En effet, quelle gloire y a-t‑il à supporter de mauvais traitements, pour avoir commis des fautes ? Mais si vous supportez la souffrance lorsque vous faites ce qui est bien, c’est une grâce devant Dieu. » (1 Pi. 2.19,20)

Qu’avons-nous fait pour lui ?

C’est à ce point que l’apôtre précise encore plus profondément quelle est la nature de la vocation chrétienne, en nous parlant du prix de la rédemption : « C’est à cela que vous avez été appelés », dit-il. Autrement dit, c’est là votre véritable rôle, votre vocation, « car Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces. Lui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel il ne s’est point trouvé de fraude, lui qui, injurié, ne rendait point d’injures, maltraité, ne faisait point de menaces, mais s’en remettait à celui qui juge justement ; […] lui par les meurtrissures duquel vous êtes guéris » (1 Pierre 2.21-24).

Voilà, quel a été, en effet, le prix de la rédemption : la trahison, la flagellation, les moqueries, les coups, la couronne d’épines, la croix et les clous.

Voilà ce que le Christ a fait pour nous, et nous, qu’avons-nous fait pour lui ?