Lettre ouverte à mes amis catholiques

Ce traité date, comme vous le verrez, d’il y a une cinquantaine d’années. Quelques questions d’actualité soulevées par l’auteur ne sont peut-être plus beaucoup discutées parmi les Catholiques, mais il y a toujours du changement et toujours ceux qui en prônent davantage. Cela vaut toujours la peine, comme le suggère M. ANDREJEWSKI, de bien considérer les attitudes à adopter à l’égard de ce que l’on propose de modifier et de ce que l’on veut conserver. Il faut être prêt à évaluer l’un et l’autre à la lumière des Écritures. C’est ainsi que l’on pourra suivre le conseil de l’apôtre Paul : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon ; abstenez-vous de toute espèce de mal » (1 Thessaloniciens 5.21,22).

Avant-Propos

Depuis quelques années déjà on peut dire que le grand public catholique s’est habitué à l’idée que l’Église est en train de changer. On assiste en effet à une sorte de brassement, ou du moins à une activité de renouveau qu’on a appelée une « mise à jour ».

Les vieilles églises se dépouillent de leurs statues et de leurs ornements. Les nouveaux édifices sont d’un style d’avant-garde, extrêmement sobre et dépouillé, sans pour cela manquer de beauté, il faut le dire. La messe est presque partout dite en langue vivante. Les prêtres ont troqué leurs robes moyenâgeuses contre l’habit plus seyant dit de « clergyman ».

Il est vrai que ces changements, pour la plupart, n’ont affecté que la surface du catholicisme. Un prêtre est toujours un prêtre, quelle que soit sa tenue vestimentaire. La messe reste la messe quelle que soit la langue qui la véhicule. Aux yeux et aux oreilles de la masse, ce sont là néanmoins des modifications spectaculaires. Le visage de la religion traditionnelle a changé. « Ce n’est plus la même chose », dit-on. Nombreux sont les fidèles qui se sentent frustrés, décontenancés. Leur sentiment religieux est prêt de disparaître. Ils n’hésitent pas à le dire. Ce qu’ils aimaient dans la religion n’est plus. Les statues sont parties en emportant leur foi.

Moins extrêmes, mais plus nombreux sont ceux qui ne savent pas trop que penser de tout cela et qui se résignent comme toujours à faire ce qu’on leur prescrira dans ce domaine.

Mais je m’adresse particulièrement à ceux qui accueillent cette « mise à jour » de leur religion avec une grande satisfaction. Ce sont en général des personnes dynamiques et sincères, soucieuses des questions spirituelles.

-1968


Chers amis, c’est au nom de cette sincérité, lien véritable au sein de nos différences, que je voudrais faire quelques remarques et vous poser quelques questions.

Lorsque je m’entretiens avec certains d’entre vous, je distingue deux attitudes en face de cette activité de renouveau dans votre Église. Certains se réjouissent de voir que l’Église se modernise, qu’elle vit avec son temps, qu’elle est prête à s’adapter aux exigences de la vie moderne.

L’autre attitude est plus rare. Elle se réjouit, non pas de ce que l’Église devient moderne, mais plutôt de ce qu’elle devient un peu plus conforme à l’Église que le Christ a voulue, telle qu’elle est décrite dans les pages de l’Écriture. J’avoue que je préfère de loin cette dernière réaction. Chers amis, ne croyez-vous pas en effet que nous faisons fausse route lorsque nous nous figurons qu’il faut constamment adapter l’Évangile aux exigences de la vie moderne de peur de voir les églises se vider. Le Christ n’a-t-il pas au contraire incité ses auditeurs à s’adapter eux-mêmes à la discipline de son message ? … « Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions. » Il ne s’est pas soucié de leur plaire. Pas plus que ses apôtres après lui. L’important était de dire la Vérité en annonçant la Parole et rien que la Parole.

C’est pourquoi, en ce qui me concerne, c’est dans la mesure où l’Église tend à se rapprocher des Écritures vers une simplicité évangélique que j’acclame les changements qu’elle s’impose, et je sais que vous êtes relativement nombreux à ressentir la même émotion.

Cela n’empêche pas, me direz-vous, que l’Église essaie de répondre aux besoins de son temps en retrouvant un visage plus jeune. En quelque sorte, elle s’adapte à son époque… et vous dites cela avec une certaine fierté devant la faculté d’adaptation d’une si grande organisation.

C’est cette fierté précisément qui m’étonne quelque peu ; car en fait, n’êtes-vous pas en train de découvrir des valeurs que d’autres ont déjà chéries, enseignées et « pratiquées » pendant des siècles ? Or, vous réagissez parfois comme si l’Église venait de formuler une doctrine absolument nouvelle.

La participation

Ainsi j’entends parler de la participation active de chaque fidèle dans la vie de l’Église, comme d’une nouveauté surprenante. C’est sans doute nouveau pour vous, mais c’est ce que nos Églises chrétiennes ont enseigné et pratiqué depuis leur origine, et cela parce qu’elles se sont efforcées de respecter l’enseignement biblique sur ce sujet. Avant d’être une organisation, elles ont compris que l’Église est avant tout un organisme. L’apôtre Paul dira qu’elle est « le corps du Christ » dont tous les membres agissent en harmonie les uns avec les autres selon les directives de la tête, c’est-à-dire de Christ.

La distinction clergé-laïque

Nous avons toujours insisté sur le fait que la distinction clergé-laïques est une notion étrangère à la Bible et nuisible à la santé spirituelle de l’Église et que chaque chrétien est un « prêtre » appelé à remplir un sacerdoce au nom du Christ, c’est-à-dire à vivre sa foi tous les jours jusqu’à la confondre avec sa vie. Je vous entends discuter aussi, et j’ai souvent participé à vos débats, de cette innovation révolutionnaire dans la manière de célébrer la Sainte-Cène ou communion. Vous parlez avec animation de la communion « sous les deux espèces » comme disent les théologiens, c’est-à-dire avec le pain et le vin. C’est là encore une nouveauté pour vous, mais c’est aussi ce que nos assemblées chrétiennes ont toujours pratiqué, parce que tel est l’enseignement des Écritures…

« Mangez-en tous » avait dit Jésus. « Buvez-en tous. » De même l’apôtre Paul rappelle aux chrétiens que :

« Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Corinthiens 11.26ss)

C’est pourquoi, depuis cette époque, il s’est toujours trouvé des croyants, des assemblées chrétiennes, qui ont voulu rester fidèles à ce commandement du Seigneur.

Un ami avec lequel je m’entretenais sur ce sujet me dit : « Mais ce n’est pas pratique !… » Ce réflexe trahit malheureusement la façon de penser d’une accablante majorité. On ne se demande pas d’abord ce que le Seigneur a prescrit. On s’inquiète de savoir si c’est pratique ! Faut-il dès lors s’étonner si ces deux attitudes ne font pas partie de la même religion ?

Le baptême

Le baptême est une autre question à l’ordre du jour. Je vous vois profondément surpris, bouleversés même, d’entendre certains de vos prêtres envisager la suppression du baptême des enfants. Je ne sais pas quand cette mesure sera appliquée, ou si elle le sera jamais. Mais je sais que c’est un sujet âprement discuté. Je dois dire que ces débats sont aussi animés aujourd’hui chez les Protestants (qui pratiquent aussi, pour la plupart, le baptême des enfants) que chez les Catholiques. On enregistre de part et d’autre beaucoup de remous, car ce sont les bases mêmes de la tradition qui sont ici remises en question. Et vous êtes unanimes à affirmer que si ce changement devait se produire, ce serait assurément l’un des plus spectaculaires depuis la convocation du Concile.

Renouveau… bouleversement… sans doute, mais ici encore, ce n’est qu’une découverte de la valeur et de la nécessité de ce que d’autres ont enseigné et pratiqué depuis le commencement dans leur souci de respecter les données de l’Écriture. Cela dit, évidemment sans vanité, mais dans un souci d’examen objectif.

Ainsi, trouvait-on bizarre, il y a quelques années, cette secte qu’on appelle « l’Église du Christ », car, à ce que l’on raconte, chez eux on ne baptise pas les enfants. Il faut avoir atteint l’âge de raison, et par-dessus le marché, ils baptisent par immersion. Ce dernier détail faisait sourire à coup sûr.

Je crois que l’on nous comprend mieux à présent. Le courrier que je reçois en témoigne. Car les voix qui s’élèvent parmi vous contre le baptême des nouveau-nés sont comme un écho de ce que nous avons toujours enseigné sur ce point, à savoir que le baptême des enfants n’a aucun fondement biblique :

  • que, selon les Paroles mêmes du Christ, ne peut être baptisé que celui qui croit… (Marc 16.15, 16).
  • que le baptême est un acte de foi et d’engagement personnel (1 Pierre 3.21), qu’il implique aussi le repentir (Actes 2.38) et que, par conséquent, seuls les êtres responsables, capables d’exprimer leur foi et leur repentir, sont appelés au baptême.

C’est ce qui explique le silence de la Bible concernant ce rite, tandis qu’elle rapporte et décrit de nombreux baptêmes d’adultes.

À cet égard, pour illustrer l’actualité d’une question que l’on tenait pourtant pour définitivement réglée, il faut signaler qu’au Synode des Églises luthériennes (Rhineland, Allemagne de l’Ouest) qui a siégé cette année (1968), 350 pasteurs ont présenté une pétition demandant la suppression du baptême des nourrissons, pour les raisons citées ci-dessus ; pour appuyer leur initiative, 50 d’entre eux ont publiquement déclaré qu’ils s’engageaient à ne pas baptiser leurs propres enfants.

Modernisation ou redécouverte

Une constatation s’impose à ce point et nous l’avons déjà suggérée : tous ces changements dont on parle et que d’aucuns appellent « une entreprise de modernisation de l’Église » ne sont en réalité que la redécouverte de l’enseignement biblique dans sa simplicité, un enseignement qui n’aurait jamais dû être abandonné ou transformé. Rien n’aurait dû être changé depuis le commencement ni dans le culte ni dans la doctrine de l’Église. Nous pourrions mentionner ici de nombreuses doctrines auxquelles vous adhérez de bonne foi, par tradition, mais qui sont totalement absentes de cette Bible que l’on semble redécouvrir de nos jours. Viendra-t-il le temps où elle aura enfin le dernier mot ? Ces modifications que l’on effectue aujourd’hui ne supposent-elles pas d’ailleurs qu’il y a eu « erreur » et qu’il s’agit à présent de « réparer ».

Était-il possible de préserver cet enseignement à travers l’histoire de l’Église ?… Bien sûr, puisque depuis le commencement il s’est trouvé des chrétiens qui ont refusé de changer ce que le Christ et les apôtres leur ont transmis et qui ont, jusqu’à ce jour, retenu cette simplicité et cette intégrité évangélique.

Ils ont toujours été de leur temps.

Jamais leur religion ne s’est trouvée démodée, car elle est toute pétrie de cet « essentiel » directement et exclusivement puisé dans la Bible, applicable à tous les hommes depuis que le Christ a parlé.

Une prière

C’est pourquoi, chers amis, j’acclame avec vous les changements qui s’opèrent parmi vous. Certes, je tiens mon enthousiasme en bride, car je sais que trop nombreux sont ceux qui ne veulent le changement que par amour du changement ; et que trop peu nombreux sont ceux qui veulent changer pour l’amour et le respect de la Parole de Dieu.

Je sais aussi que la majorité parmi vous se contentera de ces quelques « remaniements » et préférera se cantonner dans une sorte de compromis.

Mais je prierai pour ceux que ces « remous » ont éveillé à la conscience de l’autorité des Écritures et qui voudront aller plus loin, c’est-à-dire jusqu’au bout, au-delà des traditions et des inventions humaines, même les mieux intentionnées, pour retrouver, eux aussi, la simplicité, la pureté et le fondement inébranlable de la Parole. Je prierai pour eux parce qu’il faut beaucoup d’amour et de conviction pour accomplir ce pèlerinage aux sources de la Foi. En définitive, c’est une telle attitude qui caractérise le véritable enfant de Dieu, seul digne du Royaume :

« Non pas ma volonté, Père, mais la tienne. »

« Non pas mes préférences, mais tes commandements. »